Les zones grises, enquête familiale d'Alexandra Saemmer
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Triste anniversaire, celui du 30 septembre 1938 ... mais qui ne vous dit certainement rien.
Chacun sait – ou a su – que la Seconde guerre mondiale a réellement commencé le 30 septembre 1938 avec la signature des Accords de Munich entre l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Hitler y exigea et obtint la cession au Reich des territoires de la région des Sudètes situés à la frontière de la Bohème-Moravie, majoritairement peuplés de germanophones et attribués lors du traité de Versailles à l’entité nouvelle formant la Tchécoslovaquie.
Promis, juré, Hitler déclarait alors de ne pas aller plus loin dans ses revendications territoriales. Toute allusion à une situation contemporaine ....
Après la capitulation sans conditions du IIIème Reich en mai 1945, ces populations – un peu plus de trois millions – furent violemment expulsées du pays où leurs ancêtres avaient vécu depuis des siècles, dans des conditions particulièrement atroces (camps de regroupement, marches de la mort, transports par wagons à bestiaux) et se réfugièrent dans une Allemagne vaincue et en ruine, qui ne les attendait pas.
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C’est cette histoire que nous raconte Alexandra Saemmer, qui continue à exprimer la douleur de sa famille dévastée. Professeur d’université, chercheuse en sciences sociales et spécialiste de littérature numérique, c’est pourtant une belle femme âgée d’une petite cinquantaine, et apparemment elle a pourtant tout pour être heureuse.
Son récit décrit sa quête du destin de sa famille éclatée, déracinée, « expulsée de sa patrie (Heimatvertriebene», du questionnement intime qui la taraude depuis des années, avec le spectre de la culpabilité et de la honte.
Son grand-père a-t-il adhéré au parti nazi au moment de l’annexion – comme une grande partie des 90% de Sudètes qui avaient voté pour l'annexion au Reich – par conviction, par suivisme ou par obligation … ou tout simplement pour conserver son poste de facteur ? Son aïeule a-t-elle été violée par un soldat russe ?
La petite-fille d'aujourd'hui, qui a l'âge de mes filles, n’a pas vécu l’expulsion des Sudètes mais en porte cependant des stigmates. Car tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir eu des parents qui ont choisi le bon camp.
En fait, leur pays d’origine n’en voulait plus, le pays d’accueil n’en voulait pas. On soupçonnait les Sudètes de « mixité raciale », les Slaves étant considérés comme inférieurs par les Allemands – le bourrage de crânes raciste avait laissé des traces, surtout en Allemagne où la situation humanitaire d’après-guerre était catastrophique : c’était alors « Le temps des loups », selon le livre d’Harald Jähner.
A force de recherches et de bouteilles à la mer laissées sur les forums sociaux des descendants de survivants, Alexandra a réussi à retrouver et/ou imaginer les trajectoires des divers membres de sa famille. Elle vit et enseigne aujourd’hui en France, a conservé dans son expression un tout petit accent … et son récit est très émouvant.
On ne s’arrache pas si facilement de telles racines.
Les zones grises, enquête familiale à la lisière du IIIème Reich, récit d’Alexandra Saemmer, publié chez Bayard, 300 p., 20,90€