Naissance des divinités, naissance de l'agriculture -essai de Jacques Cauvin
/image%2F1371293%2F20250211%2Fob_560ac9_cauvin.jpg)
Cet ouvrage dormait dans notre bibliothèque depuis presque vingt ans, sans que je l’aie encore ouvert. Il répondait à une préoccupation constante de mon regretté Claude, fasciné par le « moment » où les petits groupes de chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire s’étaient rendus compte que les graines tombées de certains épis repoussaient d’une année sur l’autre et qu’il était possible d’apprivoiser des chèvres, des moutons, et bien plus tard, des bovidés.
Jacques Cauvin (1930 – 2001) figure parmi les archéologues les plus éminents de sa génération, spécialiste de la préhistoire du Levant et du Proche-Orient. Son essai date de 1993 et sans doute de nouvelles découvertes archéologiques sont venues enrichir – ou démentir – son propos. Je doute hélas que les guerres successives et les destructions qui les ont suivies depuis lors permettent d’avancer dans ce domaine …
/image%2F1371293%2F20250211%2Fob_1fbcf8_img-4521.jpg)
La zone étudiée est ce que l’on appelle le « Croissant fertile », cet arc de cercle qui va de la mer Morte jusqu’au plateau iranien, entre les hauts sommets du Liban, de l’Amanus, du Taurus oriental et du Zagros et le désert intérieur, une zone intermédiaire très favorable à la vie des hommes.
La thèse de l’auteur est que le changement ou « révolution » néolithique qui donna naissance à l’agriculture à partir de la fin du Xème millénaire avant notre ère fut un motif non pas économique – la production de ressources agricoles dans une contrée qui pouvait suffire à la vie des chasseurs-cueilleurs – mais d’ordre culturel voire cultuel.
C’est une dramaturgie inédite qui s’installe au cœur de l’homme vers -9500 A.C.
Spectateurs des cycles naturels de reproduction du monde vivant, les sociétés néolithiques s’autorisent à y intervenir en tant que producteurs actifs. Cela eut été techniquement possible avant, mais ni l’idée ni l’envie ne leur étaient venues. Ce fut grâce à l’émergence de divinités, qui dès le départ prennent forme humaine.
Les représentations de la forme humaine en ronde bosse naît à l’époque « Néolithique Pré-Céramique B » (PPNB). Le cercle ou la sphère désigne ainsi ce qui transcende l’Homme et reste hors de sa portée (soleil …Dieu), le rectangle nécessite l’initiative humaine (la pierre n’est cubique ou rectangulaire que si on la façonne). La courbe est féminine, le droit et l’angle sont masculins.
Une fièvre du déménagement pousse les établissements sédentaires du sud vers le nord, puis vers la côte, vers des établissements plus hauts et mieux arrosés ; et plus tard vers l’est …Mais pourquoi quitter les champs fertiles du « noyau levantin » pour affronter les zones arides auxquelles on n’était pas préparé et où tout est plus difficile ?
Ce nomadisme pastoral est-il dû à la pression démographique, au changement climatique, à une catastrophe naturelle (déluge, séisme) ? On pense inévitablement à l’émergence des légendes, mythes des origines intégrés aux textes sacrés fondateurs transmis par voie orale et transformés, sources d’épopées homériques ou Genèse, mythe de Prométhée …
Selon Cauvin, le changement aux origines de l’agriculture et de l’expansion des premières sociétés productrices hors du Levant, ou Révolution néolithique, aurait non pas une cause naturelle ou économique mais serait dû à une mutation culturelle, la Révolution des symboles.
Jacques Cauvin a joué un rôle majeur dans l’évolution de la préhistoire en la transformant en une discipline qui ne se limite pas à l’étude des outils et des objets. Il a contribué à l’idée que la préhistoire doit également être vue à travers le prisme des dynamiques sociales, culturelles et symboliques.
A méditer …
Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, essai de Jacques Cauvin – CNRS Editions 1997 – 310p.