40 ans de bonheur
Voilà, c’est fait : Claude et moi avons passé ce cap des 40 ans de mariage aujourd’hui ! Presque toute une vie à nous supporter – à tous les sens du terme – 40 ans de passion et de tendresse, de complicité intellectuelle et de bonheur, décuplés par l’amour de nos trois filles et maintenant de leurs propres enfants. Nous avons pourtant tous les deux un sacré caractère ! Au bout du compte, une complicité évidente.
Revenons sur la journée du 24 octobre 1967…..Il fait un temps froid, humide et brumeux, mais non pluvieux. Aucune importance, tout est prévu : ma robe de mariée est accompagnée d’un somptueux manteau assorti, en shantung ivoire, dont le dos est doublé de ouatine. La pièce de tissu a été tissée sur commande au Japon. Pas de traîne, car j’entends bien m’en resservir pour de prochaines soirées « en long ». Le matin, je suis allée me faire coiffer : un chignon à boucles, très 67, mais il s’agit d’un postiche ! A la nuit tombée, les multiples épingles qu’il nécessite me vrilleront le crâne. Après le coiffeur, les photos en intérieur, dans le salon familial. Le photographe tente désespérément d’animer le décor du salon-salle à manger du 4 pièces RIVP particulièrement banal. Maman propose d’enlever du mur une reproduction du Don Quichotte de Picasso, peintre qu’elle déclare ne pas aimer. Il rétorque dédaigneusement : « Madame, cela n’a aucune importance… » Les photos sont tout de même réussies, mais très conventionnelles : remarquer la pose de profil, pour bien marquer que j’ai le ventre plat…Comme Claude fait juvénile…en réalité, il a à peine changé !
La cérémonie religieuse a lieu dans ma paroisse de l’Immaculée Conception, rue du Rendez-vous : c’est un comble pour un mariage. Je m’y rends au bras de mon père et accompagnée de mes deux garçons d’honneur Olivier et Jean-François, aujourd’hui respectivement responsable de filiale à San Francisco et vétérinaire à Gruissan, en DS19 – clin d’œil au futur métier de Claude. L’église est en pleins travaux : on retourne le maître autel pour répondre à la norme de Vatican II. On ne voit plus la nef dans son ensemble, l’abside est cachée par de grandes feuilles de plastique, qui descendent des tribunes….c’est dommage. En réalité, je suis trop préoccupée de tout ce qui doit se passer après pour réellement me souvenir de ce moment. Cela aussi, c‘est dommage…En réalité, c’est à travers les mariages religieux de mes trois filles que je revivrai l’émotion de cet instant unique.
Le déjeuner qui suit se déroule au Cercle National des Armées, place St Augustin, en petit comité.
Comme invité d’honneur, j’ai à ma droite Guy de Commines de Marsilly, époux de ma marraine Marie-Claire Andrieux-Köchlin. Il est Ambassadeur de France, spécialiste du Maghreb et de l’Afrique. Ma mère a fait la connaissance de cette représentante de la haute société protestante à Alger, pendant la guerre. Je ne l’ai vue que de rares fois dans ma vie, mais elle m’impressionne par son élégance rugueuse, sa mise toujours stricte – une robe noire – mais, ainsi qu’elle le dit en aparté : « Tout le monde ne peut pas changer de bijoux ! ».
Line, la cousine de maman, qui m’a portée sur les fonts baptismaux jadis – puisque Marie-Claire était protestante – est mon témoin. Elle surveille ma tenue : c’est elle qui l’a faite, tout comme le tailleur du mariage civil. Je suis heureuse de lui témoigner mon affection en ce jour béni.
Enfin, le cocktail qui rassemble une centaine d’invités. Claude n’a pas souhaité de dîner ni surtout de danse. La mode des discours n’a pas encore cours. Parents et mariés se tiennent donc à l’entrée pour accueillir leurs invités…Lorsque les derniers arrivés entrent, les premiers s’en vont : re-salutations. C’est harassant, surtout avec des souliers un peu trop petits – difficile de trouver des chaussures blanches au mois d’octobre ! Enfin, les derniers s’en vont : nous pouvons accéder au buffet : mauvaise pioche : il n’y a plus rien à manger. Bon, on se rattrapera le soir venu, car je sais qu’il y a une bouteille de champagne qui nous attend dans le petit studio de la rue Erard que nous allons habiter ensemble au moins pour cette première nuit, car dès le lendemain nous devons partir en voiture pour commencer, depuis Nice, notre voyage de noces en Corse. Claude effectue son service militaire, il n’est pas question d’aller à l’étranger ni au soleil…..et moi, je prends mon premier job le 17 novembre à la BRED. On est très sérieux, malgré nos vingt et un ans !
Voilà ce dont je me souviens de cette journée d’engagement solennel. A vrai dire, c’était surtout l’aboutissement de trois années de fiançailles que j’avais trouvées particulièrement longues. Dès les premières semaines de notre rencontre, en avril 1964, notre résolution était prise : nous allions nous marier. Et pour moi, la vie de couple, c’était toute la vie, pas un contrat à durée déterminée. Tout ça, bien entendu, avant 1968 !
