Vie et mort du secret d'Etat, essai d'Antoine Lefébure
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Cet ouvrage n’est pas seulement un livre d’histoire, mais aussi de philosophie, de morale, de vulgarisation technologique et de géopolitique qui se lit comme un roman d’espionnage. Mais ce n’est pas un roman, hélas !
Il suffit de parcourir le résumé de carrière de l’auteur pour constater qu’Antoine Lefébure sait de quoi il parle. Né en 1950, c’est un spécialiste des techniques de la communication et de leur utilisation à des fins politiques. C’est là le cœur du sujet : le secret d’Etat.
Cela commence mezzo voce, avec les origines. Secret vient du latin secretus, de secernere, « mettre à part ». Des informations réservées à quelques personnes autorisées à y accéder, et à elles seules, et qui doivent rester isolées.
Le livre nous raconte le rôle du secret dans l’exercice du pouvoir à travers les âges. Le titre en aurait pu être « Les coups tordus à travers les siècles ». C’est la papauté, le premier Etat avec son administration et sa diplomatie, qui a institué le secret d’Etat pour débusquer et lutter contre les déviances idéologiques, les hérésies.
Dialectique complexe du secret et de la communication : se taire pour se protéger et parler pour gouverner …
Machiavel, bien entendu, l’Inquisition, Frédéric II de Hohenstaufen, Philippe le Bel et Nogaret, Le Conseil des Dix à Venise, la Saint Barthélémy, Richelieu, Louis XIV … Louis XVI enfin.
Pour Machiavel, le secret est à l’œuvre dans tous les signes qui entourent le pouvoir. Kant, lui, prône une politique fondée sur le principe de publicité : une conception moderne qui propose une intégrité morale et politique, dans le domaine privé comme le domaine public.
Triomphe de l’esprit des Lumières, les Révolutionnaires veulent que toutes les décisions soient prises aux yeux de tous : une dérive vers un régime de délation générale qui se justifie par la permanence des complots royalistes et la poussée des ennemis aux frontières. La Révolution construit ainsi la matrice d’un secret d’Etat implacable. La Bastille a été prise car elle représentait le symbole de l’arbitraire.
On continue avec Napoléon (à Gaza déjà !), la police de Fouché, l’Affaire Dreyfus, les présidents français face au secret d’Etat – ce qu’un président ne devrait pas dire … et les services de « renseignement », les secrets des guerre les plus récentes.
Passionnante est la dernière partie qui traite des enjeux de l’accès immédiat à l’espace numérique et de la manipulation de l’information. Avec l’intelligence artificielle, ce ne sont plus les Etats qui sont en mesure d’interpréter les données aspirées par les giga-ordinateurs, mais une poignée de Tycoons, une nouvelle oligarchie dopée à l’IA qui estime avoir les moyens d’exercer le pouvoir sur la société toute entière.
Ménager, par une réglementation douce voire inexistante, les entreprises leaders de l’IA permet en effet aux puissances publiques – désargentées – de s’assurer leur soutien pour l’usage de technologies ultraperformantes : surveillance du terrorisme, des dissidents, gestion et influence de l’opinion publique.
Ces magnats se contenteront ils de jouer les multimilliardaires ou vont-ils prendre le pouvoir sur le monde ?
A l’heure de Wikileaks, que devient le secret d’Etat ?
Nous nageons en pleine actualité.
Vie et mort du secret d’Etat, du secret du roi à Wikileaks, essai d’Antoine Lefébure, édité chez Passés/Composés, 396p., 24€
NB: en référence, la série américaine de 2013 "Person of interest" qui parle d'une machine qui cible certaines personnes ...