Rémanences politiques
A propos de l’instabilité et surtout de l'émiettement de nos forces politiques, René Rémond (1918 – 2007) écrivait il y a presque 60 ans :
« Ce n’est pas seulement par impatience (10 ans, c’est trop long ! scandaient les étudiants en 68) ou par souci d’efficacité que de larges secteurs d’opinion préfèrent la révolution au réformisme, c’est par devoir, par idéalisme et par conviction que la rupture est moralement supérieure à l’adaptation. Dès lors qu’on admet la nécessité de l’évolution pour une société politique, on a le choix entre deux modes de changement : la rupture brutale ou l’ajustement progressif. Une inclination naturelle jette l’intelligence politique et l’opinion publique française dans le camp du refus et de la lutte. (…)
Les extrêmes attirent plus que les centres : il y a, semble-t-il, plus de gloire à combattre le pouvoir, à attaquer les institutions qu’à les défendre et à les servir. Aux médiocres les servitudes du loyalisme, les routines de la légalité. De quels sarcasmes n’accable-t-on pas tous les ralliements !
Plutôt que de s’astreindre à la règle du jeu, on préfère se retirer sur l’Aventin, on émigre à l’étranger ou à l’intérieur, on critique indistinctement tous les actes du pouvoir, on combat globalement tous les hommes qui l’exercent, on pratique la politique du pire, à moins qu’on se jette dans l’action clandestine, comptant sur un complot quand on se sait une minorité, sur l’insurrection quand on se croit porté par le peuple,, pour imposer le régime de ses préférences.(…)
La propension à remettre en question les fondements mêmes du régime, le refus de souscrire à quelques règles élémentaires de fonctionnement, la violence des luttes politiques, tout cela vient en droite ligne de l’expérience révolutionnaire. »
Un peu plus loin à propos de l'instabilité ministérielle d'avant 1958 :
"Le précédent de 1789 - 1792 n'est pas étranger à l'importance et à la constance d'oppositions constitutionnelles qui vont généralement par deux : leurs divergences fondamentales, en dehors de leur hostilité pour le régime établi, ne les retiennent pas de conjuguer leurs coups contre lui ; ces deux oppositions dont les adeptes ne sont pas loin, additionnés, d'atteindre la majorité, mettent en difficulté les défenseurs des institutions et paralysent périodiquement le fonctionnement normal des pouvoirs publics."
Un texte prémonitoire, n’est-ce pas ?
Vive le temps de la retraite qui permet d'approfondir les notions que nous n'avons que trop rapidement effleurées lors de nos premières découvertes des fondements de la vie politique ...
Extrait de « La vie politique en France, 1789 – 1848), par René Rémond, de l’Académie française, édité en 1965 chez Armand Colin, collection Agora.