Les Conquérants, sonnet de José Maria de Hérédia
Et si on commençait ce mois d'août par un poème ?
Aujourd'hui, juste une réminiscence de mon enfance ... avivée par la découverte récente du buste du poète dans un recoin du jardin du Luxembourg.
Les Conquérants
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;
Ou, penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.
Simplement, un poème. Personne ou presque, de nos jours, ne lit plus de poésie.
Lorsque j’était toute jeune, où l’on nous faisait apprendre par cœur des vers. Ce que personne ne pratique plus aujourd’hui et, parfois, je le regrette. L’harmonie des mots, du rythme de la scansion.
De ce poète, je ne connaissais presque rien : seulement le premier vers de cet opus célèbre, assez hermétique il est vrai.
José Maria de Heredia, poète parnassien (1842 – 1905), issu d’une famille de planteurs de café de Santiago de Cuba, venu s’établir en France.
Un sonnet de facture tout à fait classique – 14 alexandrins, des rimes riches - est extrait du recueil de vers « Les Trophées » publié en 1883.
Ce premier vers ressassé à l’envi parle de vautours, s’envolant d'un nid ensanglanté, de conquistadors assoiffés de richesses : on entend des mots crus : ivres, rêve brutal, des routiers, des capitaines … On est bien loin de l’hommage aux envahisseurs partis du Portugal dans les caravelles de Christophe Colomb asservir le Nouveau Monde.
Naturellement, je repense à deux récents romans : ceux de Laurent Binet « Civilizations » ou encore « La conquête des îles de la Terre Ferme » d’Alexis Jenni qui nous plongent dans l’épopée tragique des guerres coloniales.
Une étonnante lucidité dans un texte émanant d’un natif de Cuba, à une époque où, en toute bonne foi (hélas !), les Républicains prônaient la vertu civilisatrice des puissances coloniales.

