Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 12 (2)
Chapitre 12 : Heimweh (2)
Nous passons la Noël dans ce foutu camp. Le matin, tout le monde va à la messe, même les Juifs, beaucoup de polonais aussi, mais eux sont d'une telle ferveur que j'en suis tout remué, même encore aujourd'hui quand j'y pense. Le temps s'écoule lentement, en corvées diverses et toujours par un froid intense. Un jour, le bruit court qu'il y a le typhus chez les russes et que nous allons être mis en quarantaine .... Le moral tombe à zéro. Aussi, à plusieurs, nous envisageons de creuser un tunnel. J'ai caché à l'extérieur de la baraque, un garde-boue avant de moto. En arrondissant la partie haute et en aplatissant la partie évasée du bas, cela fait une excellente pelle. Nous attaquons dans la baraque des latrines. C'est la plus proche des barbelés, et la terre, nous l'évacuons provisoirement dans les latrines, qui sont immenses. Cela fait du bien, rien que d'y penser .... Le 8 janvier, un gardien arrive de Brême ... pour nous y ramener. En vue de notre camp, nous ne sommes pas très fiers : nous sommes les premiers à nous être évadés, qu'est-ce qui nous y attend ? Surtout que devant les baraques des chefs se tient une double rangée de sentinelles, au milieu de laquelle il nous faut passer ... Nous appréhendons les coups de crosse en vache, comme beaucoup savent pratiquer. Nous avançons et rien ne se passe, j'arrive à la hauteur de celui que nous redoutons le plus. Il lève la main très haut, et d'une tape, qu'il cherche à rendre amicale, dit :
- Gut Soldaten !
- Merde alors ! Je n'en reviens pas.
C'est dans la même baraque et dans le même lit que s'effectue le retour, parmi les mêmes copains qui nous font un accueil enthousiaste. Quelques-uns, avec une discrétion qui me touche, m'apportent quelque chose à manger, qui un peu de pain, du chocolat, des sardines, enfin de quoi caler l'estomac, car le régime de la compagnie disciplinaire ne nous avait pas fait grossir, et c'est presque dans l'euphorie que je passe cette première nuit de retour. Le lendemain, nous sommes conduits dans un bureau, qui sert de tribunal. Il y a là plusieurs officiers assis devant une table, et nous deux, devant eux, au garde-à-vous. Comme je fais figure de chef, c'est à moi seul qu'ils posent les questions. Je comprends presque la moitié de ce qu'ils se disent entre eux, ce qui me permet de préparer un peu mes réponses. Un mot revient souvent dans la bouche de l'un d'eux : "plausible". Pas besoin de savoir l'allemand pour le comprendre, un autre mot aussi : "Heimweh", nostalgie de chez-soi … Finalement, au bout d'une heure, le verdict tombe : vingt et un jours de cellule, c'est le tarif normal, mais nous avions peur de plus que ça car nous étions les premiers ! C'est d'un pas allègre que nous gagnons un peu à l'écart des baraquements, notre cachot.
Le temps est long dans cette pièce obscure, la bouffe plus que médiocre, mais
c'est la loi, donc, pas de récriminations. Les jours s'étirent en longueur sans
incident notoire, sauf qu'un jour, un copain à Jo, le sachant gros fumeur,
arrive avec une couverture. C'est très chic de sa part, vu le froid qui règne
en cet hiver 41-42, aussi nous le remercions bien, pendant que le garde secoue
la couverture et pan, catastrophe, un paquet de cigarettes, soi-disant bien
accroché dans un angle, tombe à ses pieds. Gros scandale, engueulade, menace des
pires sanctions pour lui, puis le garde met le paquet dans sa poche et laisse
partir le copain tout penaud. Arrive enfin la fin du séjour, et le retour à la
chambrée.
Dès le lendemain, je me fais porter malade pendant le rassemblement,
qui se fait dans le couloir de la baraque. Dans une lumière plus que médiocre,
le chef de baraque, qui ne m'a pas reconnu sur les rangs, fait une réflexion
désobligeante à mon égard, laissant entendre que je n'étais pas élégant
vis-à-vis des Allemands qui n'avaient pas été vaches à mon égard. Comme il est
du genre collabo, la réponse ne se fait pas attendre, et d'un ton ferme et à
haute voix, je lui étale ma pensée sur lui et les siens, dans un silence absolu
: alors, d'après lui, nous aurions dû être reconnaissants envers les Allemands,
pour leur mansuétude ? Justement, tel n'était pas mon point de vue.
J'avais eu le temps de murir un plan dans ma cellule, et je tenais à le mettre au plus
vite à exécution. J'avais pour cela besoin d'un peu de liberté dans le camp, et
c'est pourquoi je m'étais fait porter pâle.
Je reprends ensuite le chemin des corvées en ville et suis désigné seul pour travailler dans une grande
entreprise de construction de navires.
Le directeur me reçoit dans son bureau,
me fait assoir dans un fauteuil, me montre un tas de prospectus de l'usine
vantant leurs réalisations dont le paquebot Bremen dont il est particulièrement
fier. Il me dit aussi qu'il ne pourra pas m'employer dans ma spécialité
de graveur sur verre ... Evidamment, je tombe sur le cul, je n'ai jamais
jusqu'ici pensé l'être, mais qu'importe, pour le moment c'est la guerre, et il
ne faut que remplacer les vitres que les Anglais s'acharnent à casser .... Le
premier février au soir, je suis prêt à remettre ça. Je vais voir Jo par acquis
de conscience, pour lui en faire part, mais je suis néanmoins décidé à partir
seul. D'accord, me dit-il, je pars avec toi. .. Même scénario que la
dernière fois : à peine arrivé chez mon patron, je quitte ma capote, mon calot,
que je remplace par une casquette à visière vernie, et je pars sous les regards
ébahis des copains de l'atelier, direction la gare. Il est bonne heure, je vais
prendre les billets, et avec Jo qui vient d'arriver, nous faisons le tour du
quartier, et dix minutes avant le départ du train, nous montons sur le quai en
faisant les cent pas ...
Nous reconnaissons alors au moins une dizaine de
copains du camp, ça fait plaisir à voir, il y a de l'émulation ... Le train
part à l'heure. Nous revoilà en direction d'Aix-la-Chapelle. Le train roule,
roule, tout a l'air de bien se passer, un seul contrôle de billets. Nous
restons en alerte dans le milieu du couloir afin de pouvoir évacuer dans le
sens opposé en cas de contrôle de papiers. Je m'arrange pour avoir toujours les
bras pliés car je me suis aperçu que les lettres K.G. sont perceptibles lorsque
j'ai les bras le long du corps : c'est ma veste de prisonnier que je porte, que
j'ai teinte en noir après en avoir gratté la peinture ... Quelqu'un de
perspicace ne s'y tromperait pas. Nous arrivons enfin, sans incident, à
Aix-la-Chapelle, avec l'intention de reprendre le même chemin. Nous suivons la
file qui mène vers la sortie, un peu séparés l'un de l'autre quand, dans le
passage souterrain, quand presqu'à hauteur de la sortie, je suis interpellé par un
garçon d'une vingtaine d'années qui me dit d'un ton péremptoire - Tu es
français ?
(à suivre)